Siffler en travaillant ou bien siffler le travail ?

 

De nombreuses enquêtes s’intéressent aux conditions de travail et à l’engagement des salariés. Burn-out, bore-out et bonheur au travail font la une des media pour le grand public, qui s’intéresse de plus en plus à ces questions.

Le travail, qui semble indispensable dans notre société « de consommation », est une épreuve subjective, source à la fois de plaisir et de souffrance.

Alors, avant de plonger tête baissée dans les actions visant un regain de motivation des salariés pour les tâches assignées ou proposant des techniques de gestion personnelle du stress, interrogeons-nous sur la « raison d’être » du travail et sa place dans nos vies. [1]

 

Le travail : une invention récente ?

A en croire Yuval Noah Hariri dans Sapiens, pendant plus de deux millions d’années, le « travail » n’existait pas. Durant la préhistoire, on s’activait probablement moins qu’aujourd’hui : chasse et cueillette étaient intermittentes et le repos était courant.

Le travail, lié à la domestication du blé, à la croissance démographique, à la sédentarisation (et finalement à une vie plus misérable ?), ne daterait que de dix mille ans environ.

Les grecs de l’antiquité distinguaient l’action politique, réservée aux citoyens, du travail (un asservissement à la nécessité), laissé aux esclaves, privés de liberté.

Le travail, longtemps intégré dans des rituels sociaux ou religieux, a mis du temps avant d’être valorisé en tant que tel et considéré comme faisant partie de la nature humaine. Pour les protestants du 17e siècle, travailler (c’est-à-dire développer des richesses, ne pas gaspiller) participait au salut de l’âme.

L’ère industrielle a ensuite vu de nombreux paysans passer d’une vie qui intégrait leur travail à une vie d’ouvrier aux fortes contraintes externes. [2]

N.B. Plus tard, le salariat, valorisé, a au passage créé le chômeur, dévalorisé.

Un peu d’étymologie

Le mot travail, particulièrement usité depuis le 16e siècle, fait référence à quelque chose d’utile, physique ou intellectuel ; il s’agit d’une activité qui contraint, qui constitue un effort. Son étymologie, tripallium (instrument de torture), suggère de la souffrance.
Quant au terme emploi, initialement lié à l’idée de plier un objet et utilisé pour les humains à partir du 17eS, il n’est guère plus engageant. Souvent lié à un contrat de travail, il fait de nos jours la différence entre ceux qui en ont et les autres (aidants familiaux – essentiellement des femmes – ou chômeurs…).
D’autres termes tels que œuvre (être maître d’oeuvre…) donnent un sens plus positif au labeur.
L’ambigüité du travail se retrouve même dans le mot chômage, qui initialement correspondait au fait de se reposer (jours fériés : jours chômés) et qui, avec l’avènement du salariat au 19e S, est devenu synonyme d’« absence de travail salarié » pour ceux qui en cherchent (et donc l’exclusion…).

Comment définir le travail ?

Hannah Arendt, dans La condition de l’homme moderne, différencie plusieurs niveaux de l’activité humaine,

  • commençant par le travail pour la survie de l’espèce (homme « bête», le niveau facilement remplacé par les robots, aujourd’hui),
  • parlant ensuite d’oeuvre (celle d’un artisan, par exemple, qui signe son appartenance au monde)
  • pour enfin évoquer celle qui permet une véritable humanité : l’action politique au sens premier du terme, c’est-à-dire le fait d’être entendu, de mettre en débat l’organisation du groupe en fonction de la pluralité des intérêts, de créer.

Sans ce niveau d’activité, comment ne pas souffrir au travail ? Le travail, est-ce la santé ? Selon l’OMS la santé est un «état complet de bien être physique, psychique et social».

Quelle est la représentation du travail, aujourd’hui ? Une action, souvent salariée, qui participe à l’économie du pays ou bien, plus largement, une activité visant à produire un résultat, une transformation visible ou non par les autres, qui peut donc revêtir bien d’autres formes que celle que l’on se représente habituellement ?

Une petite pause musicale ?
« T’as besoin d’une voiture pour aller travailler /  Tu travailles pour rembourser la voiture que tu viens d’acheter /  Tu vois c’genre de cercle vicieux ». La terre est ronde, d’Orelsan. Chanson du moment… ou pas ?

Pour les spécialistes de l’analyse psychodynamique du travail tel que Christophe Dejours, le travail se niche dans les régulations (ajustements, prise de décision, innovation voire transgression des règles) que les humains doivent mettre en place pour que la prescription qui leur est faite puisse réellement être exécutée, en fonction des conditions du moment. Dans le même esprit, les ergonomes font la différence entre la tâche, prescrite, et l’activité, réelle, qui fait face aux variabilités techniques, organisationnelles et inter ou intra-individuelles.

Réinventer un travail, sain ?

On pourra prolonger ces quelques lignes par l’ouvrage de Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique Le capitalisme paradoxant, qui explore notamment les liens entre financiarisation de l’économie, essor des nouvelles technologies et injonctions contradictoires du management contemporain (ne serait-ce que le tiraillement entre conformisme et créativité). Cet ouvrage donne des pistes pour faire face, dont la possibilité d’un chemin entre adaptation et résistance créatrice, avec pourquoi pas un retour à la tranquillité affective via l’hypomodernité.

De nouvelles formes de travail prennent ainsi place, sous l’impulsion d’évolutions relativement récentes telles que :

  • l’externalisation du risque financier par les entreprises, qui encouragent les individus à prendre la responsabilité de leur propre activité plutôt que de proposer un contrat pérenne,
  • les opportunités de travail nomade données par les nouvelles technologies,
  • le besoin d’autres modes de coopération et d’un engagement plus solidaire.

Certains “objecteurs de croissance” militent en faveur d’un temps partiel choisi.

Pour finir avec la banane, un clin d’œil musical ?

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Pourquoi un article aussi « subversif » de la part de RHEOPOLE ?

Pour pouvoir agir en toute conscience des normes et mouvements environnants, pour mettre au cœur de nos actions l’essentiel du travail :  LE SENS !

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[1]  Le début de cet article s’inspire de quelques idées fortes développées par Philippe Sarnin lors de la journée 2016 de l’APIRAF.

[2] Et parce qu’ici on ne se lasse pas des émissions de Raphaël Enthoven, un podcast au sujet du travail.

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